« LE CLÉRICALISME », NOUVEL ENNEMI ?

Joël-Benoît d’ONORIO
Professeur des Universités

On présente « le cléricalisme » comme une explication au drame actuel qui affecte l’Eglise et l’humanité sous tant de honte et d’écœurement. Or, il y a quelque chose de paradoxal pour des Français d’entendre des ecclésiastiques entonner la vieille antienne de nos anticléricaux d’antan : « le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »… Et pourtant, chez les catholiques, la plupart semblent atteints de psittacisme quand ils reprennent en chœur ce refrain imaginé en haut lieu comme un pare-feu alors qu’il n’est qu’un rideau de fumée. Peut-être même de cette « fumée de Satan » dont Paul VI avait, de manière prémonitoire, décelé l’infiltration dans l’Eglise, dès 1968. En vérité, le cléricalisme désigne une immixtion indue du pouvoir spirituel dans le pouvoir temporel ou, par extension, l’autoritarisme de certains clercs envers les laïcs. Mais ce n’est pas ce qui est principalement en cause ici où il s’agit d’abord et essentiellement d’une corruption des mœurs dont les protagonistes auraient agi pareillement s’ils étaient restés dans la vie civile. L’état clérical n’a été qu’un moyen et une occasion pour perpétrer ces actes, nullement la cause. Pas plus que l’abus de position dominante qui est la caractéristique de toutes ces affaires dans tous les milieux. On ne sache pas que des agissements similaires d’instituteurs ou d’éducateurs publics aient été imputés à on ne sait quel «pédagogisme »… Or, pour y remédier, on invoque « la collégialité et la synodalité », cataplasmes sur une jambe de bois, pendant qu’on entonne la sempiternelle antienne du « mariage des prêtres » qui n’aurait d’autre effet que de passer du mariage-sacrement au mariage-médicament. On ne guérit pas de ses perversions en prenant femme. A moins qu’il ne s’agisse ici de « mariages à la Taubira » ?…
Peut-être faudrait-il commencer par appeler les choses par leur nom au lieu de se cacher derrière la pudibonderie du vocabulaire. L’expression courante de « pédophilie » recouvre, en fait, une maladie grave, et même mortelle car ceux qui en sont atteints se comportent en assassins des âmes encore plus que des corps, auxquels s’ajoutent des victimes collatérales par les ravages ainsi occasionnés dans la foi des fidèles et l’opinion publique. Ces actes constituant des crimes, cette pédophilie doit donc être qualifiée sans ambages de pédo-criminalité. Pareillement, parler seulement des « abus sexuels » pourrait signifier, en toute rigueur de termes, que certains seraient allés trop loin dans l’usage d’une sexualité qui leur est pourtant totalement interdite. Il convient donc de parler d’agressions sexuelles.
La cruelle réalité est que cette pédo-criminalité se double aussi, de manière plus générale, de la dépravation de certains clercs qui s’adonnent impunément à ce que l’Eglise médiévale nommait « incontinentia carnis », à savoir la luxure, qui peut concerner les deux sexes, mais très souvent le même, dont aussi des majeurs (sujet étrangement – et délibérément – absent du « Sommet » romain de février 2019…). Certes, le problème n’est malheureusement pas nouveau ni dans le monde, ni dans le clergé. Pour autant, l’Eglise n’en a jamais pris son parti et a toujours maintenu, dans sa doctrine morale, la luxure comme un des sept péchés capitaux. De surcroît, ce péché gravissime s’accomplit avec son cortège de sacrilèges que, curieusement, personne ne perçoit ni ne dénonce, à savoir la profanation du sacrement de l’eucharistie, comme de celui de la confession quand il y a sollicitation du pénitent ou, pire, absolution du complice, sans parler du mensonge de la double vie quand le prédicateur se mue en prédateur, non moins que de la déloyauté envers l’Institution dans laquelle on s’est engagé en toute connaissance de ses exigences et où personne n’est obligé d’entrer ni d’adhérer, ni même de rester. Le Pape y a vu une « incohérence » (25 septembre 2018 en Estonie). Le mot est faible pour une véritable trahison du Christ et de l’Evangile : « Si quelqu’un fait tomber dans le péché un de ces petits qui croient en Moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui suspendît au cou la meule d’un moulin et qu’on le précipitât au fond de la mer (…) Malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! » (St Matthieu, 18, v. 6 et 7). On est loin du « cléricalisme ».
Néanmoins, devant ce désastre spirituel et humain, il convient de savoir distinguer entre la personne de l’Eglise et son personnel, comme le conseillait le philosophe Jacques Maritain. L’Eglise est « indéfectiblement sainte » (Vatican II) mais reste peuplée de pécheurs dont les clercs ne sont pas exclus pour constituer une secte de parfaits. Les péchés de ses membres ne sont pas ceux de son Corps mystique qui est le Christ. La sainteté dont l’Eglise est revêtue est celle de Dieu. Mais son visage est maintenant défiguré, outragé, souillé par cette pourriture qu’évoquait déjà le cardinal Ratzinger en 2005, à la veille de son élection au souverain pontificat, et qui doit être éradiquée sans pitié ni délai, sans tergiversation ni procrastination envers ceux des siens qui l’ont maculée de ces horreurs innommables et qui ont déchu au point de n’avoir plus leur place en son sein : « … ils viennent à vous déguisés en brebis mais, au-dedans, ce sont des loups ravisseurs. C’est à leurs fruits que vous les jugerez (…) Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits, on le coupe et on le jette au feu » (Evangile selon St Matthieu, chap. 7, v. 15 et 19).
Les motivations du nonce italien qui a dénoncé en vain toutes ces turpitudes dès le début de l’actuel pontificat répondaient à un impérieux devoir de vérité dont il a voulu acquitter sa conscience avant de comparaître devant le Souverain Juge. Ce scrupule ne semble guère étreindre les délinquants concernés dont la foi, notamment sur les fins dernières et le salut de leur âme, peut être sujette à caution… Pour autant, on attend toujours que ces accusations soient réfutées point par point. A ce jour, elles n’ont été qu’indirectement confirmées par la destitution cardinalice puis la réduction à l’état laïc du principal accusé et par la démission de quelques prélats, pendant que d’autres prospèrent encore, à l’ombre de Saint-Pierre, dans leur cursus honorum…
L’Eglise doit au plus tôt se réformer, non pas dans sa doctrine ou dans ses structures, comme on semble le privilégier aujourd’hui, mais dans sa discipline trop longtemps négligée et relâchée. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra changer les mentalités et les comportements, et non par d’interminables faux débats à la « gilets jaunes » entretenus par une presse catholique complaisante et conformiste. Peut-être faudra-t-il aller jusqu’à des changements d’hommes, ceux qui ont failli, bien sûr, mais aussi ceux qui ont sciemment couvert ou laissé faire. Péchés par action et par omission. Ce n’est pas manquer au respect de l’autorité ni de l’ordre sacré que de soutenir que cette urgente réforme s’impose du haut en bas de l’Eglise, « in capite et in membris ». Dans cette barque chahutée par des vents mauvais, attisés par le souffle tempêtueux du Malin qui se sert de ses misérables suppôts, il faut savoir garder le cap. Pour peu que le capitaine sache lui-même tenir la barre du gouvernail.
Si on a honte de ces clercs prévaricateurs, on reste fier de tous nos saints et saintes qui sont à jamais l’honneur de notre peuple.
Si on est accablé par ces profiteurs de rentes ecclésiastiques, on reste fier de tous ces missionnaires, religieux et religieuses qui ont tout quitté pour faire resplendir le nom chrétien aux confins de l’humanité et au firmament de la civilisation.
Si on est indigné par tous ces pervers qui ont sacrifié aux idoles du monde et du temps, on reste fier de tous ces martyrs qui, avec une abnégation absolue, ont sacrifié leur vie pour ne pas renier leur Dieu, leur Eglise et leur foi.
Si on est révolté par tous ceux qui ont souillé des innocents, détruit des vies ou ruiné des espérances, on reste fier de la multitude de ceux qui, depuis deux millénaires, ont éveillé les âmes, instruit les esprits, suscité les vocations, soigné les malades, consolé les affligés et relevé les désespérés.
Si on est écœuré par la puanteur qui s’exhale de ces turpitudes, on reste fier de la beauté de la quantité d’œuvres chrétiennes – charitables, spirituelles, intellectuelles, artistiques – qui ont fleuri à travers les temps.
Et si on est découragé par le nombre de ces méfaits, on restera fier du nombre bien plus grand des bienfaits que notre grande, noble et belle Eglise a apportés au monde et en face desquels toutes les prévarications, toutes les innovations et toutes les concessions qui ont favorisé ces choses misérables et minables finiront inexorablement dans les poubelles de l’Histoire.
_____________________________

Ce thème est abordé plus largement par l’auteur dans le volume L’intérêt supérieur de l’enfant, Actes du XXIXe colloque national des juristes catholiques de 2018, Editions Téqui.