Intransigeant ou populaire ? Une erreur de jugement.

Joël-Benoît d’ONORIO
Professeur des Universités
Président de la Confédération des Juristes catholiques de France

Dans son article paru dans La Croix du 22 avril, Mgr Dagens, évêque et académicien français – qu’il ne faut pas confondre avec l’épiscopat ni avec l’Académie… – croit percevoir un « catholicisme intransigeant » dans les réactions populaires contre le prétendu mariage fallacieusement dit « pour tous ». Pourtant, sans sortir de son évêché pour battre le pavé de Paris ou d’ailleurs, il aurait pu constater que ces Français n’étaient pas tous catholiques et encore moins « catholiques intransigeants », mais de simples citoyens responsables et conscients de l’extrême gravité de l’enjeu. L’auteur y a même décelé rien moins que des influences maurassiennes… pour se contredire aussitôt en affirmant avec justesse que « ces idéologies sont mortes et que personne ne peut les ressusciter » !

Le prélat redoute que « cette posture militante, cette culture de combat » ne servent de prétexte pour aiguiser l’hostilité de certains à qui il réserve ses élans d’indulgence et de miséricorde en ne les désignant que comme « ceux qui se méfient des religions »… Mais les faits infirment ses craintes car c’est bien le projet de loi qui a suscité ces réactions et non le contraire : nos socialistes prennent l’initiative d’un bouleversement énorme et sont ensuite tout étonnés qu’il y ait encore des gens pour réagir ! Eût-il été préférable qu’on acceptât sans mot dire une telle réforme qui, au-delà du simple bon sens, défie les lois de la nature humaine et le fondement de la société ? Mgr Dagens, qui a si souvent réfléchi, écrit et parlé sur nos sociétés démocratiques, concevrait-il les citoyens modernes sans conscience morale et politique, comme des moutons qui vont docilement au gouffre où on les conduit ? Aurait-il oublié les prescriptions du concile Vatican II ou n’en aurait-il conservé que cette déformation médiatique et idéologique qui a tant imprégné le clergé d’une époque révolue qu’il a bien connue puisqu’elle fut précisément la sienne ?

S’il concède qu’il faut lutter contre « tout ce qui déshumanise notre société » et notamment « la crise du mariage et des valeurs communes », il se garde, en spectateur non engagé, de donner une méthode alternative. Tout en se disant « solidaire » de l’épiscopat, il s’en démarque, notamment du cardinal de Paris dont l’histoire retiendra pourtant qu’avec sa proposition d’une simple prière du 15 août, il a joué un rôle déterminant dans le sursaut et le revirement de l’opinion publique nationale (et pas seulement catholique) face à ce qu’il a fort significativement ciblé comme une « supercherie », mot qui a déstabilisé jusqu’aux auteurs mêmes dudit projet. Mgr Dagens aurait-il aussi trouvé cette prière mariale de trop ? S’il a raison de craindre une récupération par des partis politiques dépassés par ce vaste et profond mouvement populaire, son discours rejoint néanmoins celui des socialistes, pressés d’en finir avec ce détonateur social dont ils ont si imprudemment allumé la mèche, au risque qu’il leur éclate bientôt en pleine figure. L’évêque d’Angoulême se met ainsi au diapason de son confrère de Marseille (et prochain président de l’épiscopat) pour qui « cette question est derrière nous ; nous sommes déjà passés à autre chose » (La Provence du 20 avril). Le Gouvernement n’en espérait pas tant.

Dans ce genre de débat et de combat – oui, de combat – se référer à « la joie » de l’élection d’un nouveau Pape est dénué de toute pertinence et de toute efficience. D’autant qu’en son temps et dans son pays, l’ancien cardinal de Buenos Aires avait adopté contre le même type de législation une attitude à l’opposé de celle de l’évêque français qui ne paraît pas, quant à lui, « préoccupé » outre mesure par ce que Mme Taubira a eu la franchise d’appeler « un changement de civilisation ». Il n’y a aucun « calcul politique » dans le refus radical de ce pseudo « mariage homosexuel » qui, même validé par le Conseil constitutionnel, demeure si attentatoire à la loi naturelle qu’il constitue « non pas une loi mais une corruption de la loi » (St Thomas d’Aquin).

On peut légitimement ne pas aimer les défilés dans la rue et privilégier d’autres formes de protestation. Mais on ne peut pas ne pas voir dans ces foules immenses qui n’ont cessé de grandir, la part la plus saine de notre peuple et de notre jeunesse, porteuse d’espoir pour notre pays que l’on dit trop souvent blasé, hédoniste et matérialiste. Plutôt que par le biais d’une analyse datée et crispée, c’est avec optimisme que Mgr Dagens devrait envisager cette nouvelle donne qui lui a échappé. Les manifestants, qui ont bravé la fatigue, le froid et les gaz de la police, n’avaient pas besoin qu’en plus on leur tire dans le dos.

AVERTISSEMENT ET MISE EN GARDE

Depuis l’an dernier, des membres de la Confédération des Juristes catholiques de France reçoivent des informations en provenance d’une prétendue « Association française des Juristes catholiques » les invitant, au nom d’un « Groupe Saint-Nicolas » à une « Messe des Juristes » célébrée en l’église parisienne de Saint-Nicolas du Chardonnet…

Nous ne savons pas comment les adresses de certains de nos membres ont pu être ainsi utilisées – notre fichier n’a jamais été communiqué à quiconque – mais nous mettons en garde nos adhérents et sympathisants contre toute confusion regrettable.

Si certaines références idéologiques du livret diffusé et du contenu du site suffisent à marquer la différence avec notre Confédération, les liens renvoyant à des associations étrangères de juristes catholiques demeurent trompeurs dans la mesure où ils concernent exclusivement des Associations qui sont en communion avec les épiscopats locaux respectifs et adhèrent à l’Union Internationale des Juristes Catholiques (UIJC), seule organisation internationale de juristes catholiques officiellement reconnue par le Saint-Siège, ce qui n’est manifestement pas le cas de ladite « association française des juristes catholiques ».

HENRY NIVEAU de VILLEDARY

HENRY NIVEAU de VILLEDARY (1904 – 2007)

La Confédération des Juristes catholiques de France vient de perdre son doyen. Le Président Henry de VILLEDARY, dont nous avions célébré dans la joie le centième anniversaire à notre colloque de 2004 avec Son Eminence le Cardinal Jean-Louis Tauran porteur d’un message du Pape Jean-Paul II, est pieusement décédé le 20 janvier dernier, entouré de tous les siens et réconforté par les sacrements de l’Eglise et les prières de ses nombreux amis.

Alerte centenaire, le Président de Villedary avait été soudainement frappé d’hémiplégie et d’aphasie au petit matin du 12 janvier et immédiatement transporté à l’hôpital de Saint-Cloud où il demeura toutefois parfaitement conscient durant plusieurs jours avant de s’éteindre tout doucement.

Ses obsèques ont eu lieu dans sa paroisse de Ville d’Avray où il résidait, depuis ces dernières années, chez une de ses filles. Une délégation de notre Confédération y a représenté tous les juristes catholiques de France. L’inhumation a suivi dans ses terres de Saint-Victor en Creuse.

C’est tout un pan de notre histoire qui s’en est allé avec M. de Villedary. A sa naissance, le 7 octobre 1904 à Dax, l’Etat n’était pas encore séparé de l’Eglise, le Pape Pie X était retenu au Vatican, le Président Emile Loubet était à l’Elysée, Théodore Roosevelt à la Maison blanche et le Tsar Nicolas II régnait sur toutes les Russies…Durant sa longue vie, M. de Villedary aura connu huit papes et quinze présidents de la République !

Lauréat de la Faculté de Droit de Toulouse, docteur en droit de la Faculté de Bordeaux après son diplôme spécialisé de sciences pénales, M. de Villedary a commencé sa carrière judiciaire en s’installant comme avocat à Bordeaux en 1925 avant d’entrer dans la magistrature dès 1931 pour être nommé dans la région parisienne, puis procureur de la République à Reims en 1937. Il retourna à Paris en 1940 mais fut aussitôt mobilisé avec le grade de capitaine d’infanterie. Fait prisonnier par l’ennemi, il connaîtra cinq longues années de captivité qui le mèneront dans les oflags d’Allemagne, de Pologne et d’Autriche. Au camp de Nuremberg, il fera profiter ses compagnons d’infortune de ses connaissances juridiques en participant aux enseignements organisés par le doyen Vedel.

En 1945, M. de Villedary retrouve le Tribunal de la Seine comme juge d’instruction et 1954 le voit accéder à la Cour d’appel de Paris d’abord comme conseiller puis, en 1960, comme Président de chambre jusqu’à sa retraite en 1972, date à laquelle il présidera la Commission du Contentieux de l’indemnisation des rapatriés d’outre-mer avant de se dévouer comme conciliateur au Tribunal de Guéret, dans sa Creuse familiale.

Depuis la Libération, le Président de Villedary était, en outre, bénévole dans une association d’aide aux personnes en difficultés des milieux culturels, artistiques et scientifiques ; il en fut d’abord le conseiller des présidents successifs, le Prince de Broglie puis le Doyen de La Morandière à qui il succéda en 1984… et jusqu’à ses 102 ans !

Ses services exemplaires furent reconnus par la République qui lui décerna la rosette d’officier de la Légion d’honneur, la cravate de commandeur de l’Ordre national du Mérite et la croix de guerre 39-45.

Le sens de l’apostolat de ce chrétien convaincu et actif l’a conduit à s’engager dans les rangs des Adorateurs nocturnes du Sacré-Cœur de Montmartre qu’il rejoignait encore ces dernières années. Entré en 1979 dans l’Ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, il y fut élevé jusqu’à la dignité de Grand officier.

Le Président de Villedary fut aussi membre de l’équipe fondatrice de la Confédération des Juristes catholiques de France dans les années 1977-1978. Il en fut le plus fidèle des fidèles, assidu tant à tous nos colloques nationaux annuels qu’à nos congrès internationaux – dont celui de Monaco, en 2003, où il fut présenté à S.A.S. le Prince Albert dont l’aïeul, le Prince Albert 1er, avait comme aide de camp le grand-père de M. de Villedary – ou à nos pèlerinages à Rome dont celui du Jubilé de l’an 2000 restera mémorable par son Audience du Pape Jean Paul II qui fut particulièrement chaleureux avec notre doyen.

Remarquablement vif d’esprit jusqu’à son extrême vieillesse, le Président de Villedary était unanimement apprécié pour sa belle distinction, sa constante affabilité et ses grandes qualités de cœur et d’âme.

Il laisse un grand vide parmi nous mais il continuera à faire, du Ciel, beaucoup de bien sur la Terre.

R.I.P.

Note de Lecture

Note de Lecture

« PORTALIS, l’esprit des siècles »
Joël-Benoît d’ONORIO

L’année 2004, au cours de laquelle de nombreuses initiatives et manifestations ont permis de célébrer, après 200 ans, le « Code Napoléon » devenu plus simplement notre Code civil, ne pouvait laisser sous silence le principal architecte de ce code : Jean Etienne Marie PORTALIS.

C’est ainsi que Joël-Benoît d’ONORIO, Professeur des Universités et, notamment, Directeur des l’Institut européen des Relations Eglise-Etat, vient de publier, chez DALLOZ, un ouvrage, véritable portrait de PORTALIS.

Très joliment et finement préfacé par Marceau LONG, Vice-président honoraire du Conseil d’Etat, ce livre nous offre de découvrir le parcours atypique et d’une richesse extraordinaire d’un homme de Droit, hors du commun, qui a du et su traverser les années les plus tumultueuses que notre Histoire ait connues.

Portrait d’une « gloire sans célébrité » comme l’avoue l’auteur, ce « Portalis, l’esprit des siècles » nous fait découvrir l’enfant né en Provence et l’avocat d’AIX. J-B d’ONORIO, lui-même Professeur à AIX (devenue « EN PROVENCE » depuis PORTALIS) ne pouvait pas faire l’économie de ces présentations, de cette si jolie Provence qui sera pour PORTALIS telle une corne d’abondance et une source de vie.

Le PORTALIS homme public, défenseur de sa ville et de son pays de Provence donne l’occasion d’un éloge de la province et d’une description effrayante de la vie parisienne de la fin du XVIIIème siècle, de ses mœurs et de ses idées. Les deux aixois, l’auteur et son sujet, semblent se retrouver à l’unisson dans ces tirades provincialistes et anti-parisiennes dont certains seraient tentés de vanter l’actualité…

Mais il faut bien admettre avec l’auteur que la pensée profonde de PORTALIS, de par sa richesse et sa mesure, de par la lucidité du constat d’où elle naissait et la hauteur de vue de l’homme, demeure d’une actualité surprenante, tant en ce qui concerne l’organisation de la société, la hiérarchie des normes, la recherche du fondement des principes ou la création des lois et règlements.

Dès ses premières plaidoiries à AIX, puis dans le cadre de ses mandats publics, PORTALIS est la recherche de la règle de Droit naturel qui doit éclairer son discours, déterminer l’action. Partout PORTALIS va distinguer le temporel et le spirituel, l’intérêt privé ou ponctuel de l’intérêt public et général.

« Homme de tradition dans une époque de révolution, homme de raison dans un temps de passions ». PORTALIS, sans jamais se renier va néanmoins faire évoluer sa pensée, non pas de façon opportuniste mais pragmatique. Ses périodes difficiles, proscrit sous la Révolution, exilé sous le Directoire, mais aussi son rôle influent et reconnu entre ces deux époques au Conseil des Anciens, lui donnent l’occasion de mûrir ses réflexions. PORTALIS, écrivant et discourant beaucoup sur la Liberté, reconnaît que celle-ci doit s’apprécier au regard des époques, des dangers ou contraintes du moment et qu’elle n’est pas la même en temps de paix ou en temps de troubles. L’organisation des pouvoirs publics et l’exercice du pouvoir l’occupent beaucoup aussi.

De son exil, PORTALIS observe la montée de BONAPARTE. Par arrêté du 24 thermidor an VIII (12 août 1800), et sous la protection de CAMBACERES, PORTALIS devient membre de la Commission de rédaction du Code civil aux côtés de TRONCHET, BIGOT de PREAMENEU et de DE MALEVILLE. C’est au sein de cette commission, dont il est l’élément principal, que PORTALIS va dévoiler son génie juridique, son génie tout simplement.

Toujours mu par cette recherche de la Loi naturelle soutenant toute règle, soucieux des équilibres entre le droit positif et les fondement religieux de la société (notamment sur le mariage), PORTALIS réalise une synthèse improbable et équilibrée entre certains acquis de la période révolutionnaire et l’Ancien droit. La recherche du juste s’applique aussi bien au fond qu’à la forme, l’illustre Jurisconsulte s’appliquant à trouver en toute chose la formulation accessible à l’homme de la rue et néanmoins chargée de sens pour le spécialiste.

PORTALIS, qui n’en est pourtant ni l’initiateur ni le rédacteur, sera par la suite l’artisan du Concordat de 1801. Puis en 1804 il devient le Ministre des Cultes de NAPOLEON, poste dans lequel il mettra toute son âme, ton son esprit et, qualité sublime, ce mélange de sens pratique et de vision réformiste qui lui permettront de progresser et de bâtir sur des terres dont les historiens se désintéresseront, préférant retenir de « vrais » politiques plutôt que celui dont on a pu dire qu’il était « le bon génie de NAPOLEON ».

En cette année 1807 PORTALIS s’en va donc, sans célébrité à la hauteur de ses talents mais avec la reconnaissance de l’Empereur et, très certainement, l’estime et l’admiration de ceux qui l’avaient côtoyé. L’œuvre qu’il laisse est immense. La pensée qu’il a diffusée universelle, à l’image de cet esprit du siècle des Lumières.

PORTALIS le Provençal, l’avocat des pauvres, le défenseur d’un Parlement de Provence indépendant du pouvoir central est arrivé à PARIS où il est promu ministre de NAPOLEON. Ce faisant, il devient le serviteur de cet Etat central fort, l’architecte d’un Code civil unique pour le pays, le législateur moderne dont l’œuvre lui survit jusqu’à nous. Pour répondre à J-B d’ONORIO, non sans humour et en le saluant pour son œuvre, constatons que la perversion parisienne décriée par PORTALIS ne l’a pas souillé et que rien de tout ce qu’il a créé n’aurait été possible sans ces années dans la capitale. Admettons que PARIS ne serait pas elle-même sans ses provinciaux, qu’ils soient de Provence ou d’ailleurs…

Au terme de cet ouvrage, l’on s’aperçoit que c’est à un merveilleux voyage que J-B d’ONORIO nous a convié. Voyage dans l’Histoire de cette France qui bascule de l’Ancien régime dans la Révolution et la Terreur, puis se reconnaît dans un Empereur qui saura, avec d’autres, assurer la synthèse entre deux mondes et faire entrer son pays dans un nouveau siècle. Voyage dans la pensée – dans les pensées- de l’époque ; PORTALIS s’étant nourri d’un fond de culture classique, d’influences maçonniques qui le suivront, du débat avec ses contemporains mais surtout, et avant tout, de cet attachement aux valeurs du christianisme dont il retirera, à plusieurs reprises, les vertus de tolérance et d’ouverture sans jamais perdre de vue que les lois humaines découlent toujours de la Loi supérieure.

Ce livre est un modèle, à l’image de son sujet. Il se dévore tel un roman, il est une leçon d’histoire, de droit, de science politique, de philosophie. Chaque page est une invitation à la réflexion, une incitation à l’humilité.

En le reposant sur l’étagère, l’on souhaite dire « Bravo Monsieur PORTALIS. Merci Monsieur d’ONORIO ». Ou l’inverse…

Antoine DELABRIERE

DALLOZ – 31/35, rue Froidevaux, 75014 PARIS
365 pages – 30€

Les chrétiens et l’Europe : une interrogation

Par Joël-Benoît d’Onorio, Professeur de droit,
Président de la Confédération des juristes catholiques de France.

L’opinion chrétienne semblerait plutôt favorable au projet du nouveau traité européen dont, en critiquant plusieurs de ses dispositions, notre Conseil constitutionnel a toutefois rappelé qu’au regard du droit français, il est d’abord un traité inconstitutionnel et ne saurait être, en aucune manière, une « Constitution » …
De graves réserves avaient été aussi émises à son encontre par le Saint-Siège et tout particulièrement par le pape Jean-Paul II, qui ont œuvré inlassablement pour que soient mentionnés dans le préambule les héritages religieux « notamment chrétiens » de l’Europe.
Ce combat fut, certes, vain mais point inutile pour l’avenir (quel qu’il soit) car il devait être mené pour prendre date dans l’histoire (1).
Contrairement à ce que d’aucuns pensent dans la classe politique, il est loin d’être clos. On peut faire confiance, à cet égard, au nouveau pape Benoît XVI, qui y est revenu dés ses premiers discours.

En mars, deux textes religieux de niveau hiérarchique inférieur ont été publiés en vue des procédures d’adoption dudit traité : l’un, de facture exclusivement catholique, émane de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne, l’autre, de nature œcuménique, provient du Conseil de ce que, sans craindre le pléonasme, on appelle les « Eglises chrétiennes » de France (lire La Croix des 24 et 30 mars 2005.)

Au-delà des réserves d’usage et de fond, ces deux documents portent un jugement globalement positif sur le projet où les dignitaires catholiques, protestants et orthodoxes observent que, si les valeurs chrétiennes ne sont pas mentionnées en toutes lettres, elles sont néanmoins présentes dans l’esprit du texte. Ils expriment surtout leur satisfaction sur l’article 52 qui accorde une certaine reconnaissance européenne à la contribution spécifique des Eglises et institutions religieuses, sans remettre en question leurs statuts juridiques respectifs dans les divers Etats de l’Union. Or, s’il est indéniable que cet article constitue un acquis non négligeable, on peut émettre quelques réserves sur cet enthousiasme épiscopal à peine contenu.

Les évêques européens se réjouissent avec raison de trouver dans ce traité des principes relatifs aux droits fondamentaux de la personne humaine, dans lesquels ils décèlent des valeurs chrétiennes sous-jacentes. Mais le problème est que ces principes sont tout autant revendiqués par des écoles de pensée non chrétiennes voire antichrétiennes, celles-là mêmes qui sont intervenues lors de la rédaction du texte pour le prémunir de toute influence religieuse. Et si les rédacteurs ont tant montré de détermination à ne pas vouloir qualifier ces principes de chrétiens, c’est pour que ceux-ci puissent se prêter plus aisément à diverses interprétations juridiques ou revendications idéologiques non chrétiennes, comme c’est déjà le cas pour le droit à la vie que la jurisprudence européenne ne veut pas appliquer à l’enfant conçu …
Nos prélats semblent en avoir perçu le risque quand ils disent suivre attentivement l’évolution et l’application de ces droits afin de le faire correspondre à l’anthropologie chrétienne. Ils auraient pu en dire autant du principe de subsidiarité dont, jusqu’à présent, la conception qu’on s’en fait à Bruxelles correspond peu à ce qu’en dit la doctrine sociale de l’Eglise.

S’agissant de l’article 52, il mérite bien sûr une appréciation positive dans la mesure où, contre l’avis des socialistes français notamment, la reconnaissance du fait et des organismes religieux devient publique en Europe et que, à la grande satisfaction des autorités confessionnelles, les Eglises sont ouvertement désignées par leur nom. On remarquera toutefois qu’elle sont curieusement rangées dans la même catégorie que les  » les organisations philosophiques et non confessionnelles » que l’on s’est bien gardé d’appeler, elles, par leur vrai nom …
Peu ont pressenti, notamment dans l’épiscopat, les conséquences dommageables d’ordre juridique et politique que pourrait entraîner cette confusion des genres …

Quant à la liberté de religion que les évêques ont relevée avec l’intérêt que l’on devine, elle n’apporte, au demeurant, rien de plus que ce que l’on a connu jusqu’ici avec la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 à laquelle l’Union européenne déclare aussi adhérer, ce qui rend la nouvelle Charte des droits fondamentaux (partie II du traité) totalement superflue. Tout comme le traité, les autorités religieuses ont choisi de ne jamais se référer à la souveraineté nationale des Etats sur laquelle Jean-Paul II avait pourtant tant insisté dans son mémorable discours à l’Unesco dont on célébrera très bientôt le 25e anniversaire…
Certes, les deux documents religieux de mars n’ont aucune valeur magistérielle ni canonique, et ils n’engagent que leurs signataires et nullement les autres évêques ni a fortiori l’Eglise, car ils concernent un projet exclusivement temporel dont le contenu juridique peut faire l’objet de divergences légitimes chez les croyants. C’est pourquoi le soutien politique de la Commission épiscopale européenne invitant « tous les chrétiens » à mettre « en pratique le nouveau traité et en le faisant fonctionner » pourra être diversement apprécié, tout comme l’appui à peine subliminal de l’archevêque de Clermont au « oui » (lire La Croix du 25 mars) …

Il est normal que des chrétiens veuillent investir les nouvelles institutions européennes pour tenter de les orienter dans le bon sens. Il n’empêche qu’un grand nombre d’électeurs, chrétiens ou non, n’ont pas compris l’obstruction systématique des dirigeants français à toute mention chrétienne dans le traité. Certains, qui n’ont pas oublié la mésaventure bruxelloise de Rocco Buttiglione, rejeté à raison même de sa foi, pourraient être tentés de leur rendre la monnaie de leur pièce en observant que, si Dieu et le christianisme ont été délibérément exclus de la nouvelle Europe, il est peu probable qu’il y ait davantage de place pour les chrétiens.

(1) Voir L’héritage religieux du droit en Europe (J.B. d’Onorio dir.), Ed. Téqui, Paris, 2004.