Note de Lecture

Note de Lecture

« PORTALIS, l’esprit des siècles »
Joël-Benoît d’ONORIO

L’année 2004, au cours de laquelle de nombreuses initiatives et manifestations ont permis de célébrer, après 200 ans, le « Code Napoléon » devenu plus simplement notre Code civil, ne pouvait laisser sous silence le principal architecte de ce code : Jean Etienne Marie PORTALIS.

C’est ainsi que Joël-Benoît d’ONORIO, Professeur des Universités et, notamment, Directeur des l’Institut européen des Relations Eglise-Etat, vient de publier, chez DALLOZ, un ouvrage, véritable portrait de PORTALIS.

Très joliment et finement préfacé par Marceau LONG, Vice-président honoraire du Conseil d’Etat, ce livre nous offre de découvrir le parcours atypique et d’une richesse extraordinaire d’un homme de Droit, hors du commun, qui a du et su traverser les années les plus tumultueuses que notre Histoire ait connues.

Portrait d’une « gloire sans célébrité » comme l’avoue l’auteur, ce « Portalis, l’esprit des siècles » nous fait découvrir l’enfant né en Provence et l’avocat d’AIX. J-B d’ONORIO, lui-même Professeur à AIX (devenue « EN PROVENCE » depuis PORTALIS) ne pouvait pas faire l’économie de ces présentations, de cette si jolie Provence qui sera pour PORTALIS telle une corne d’abondance et une source de vie.

Le PORTALIS homme public, défenseur de sa ville et de son pays de Provence donne l’occasion d’un éloge de la province et d’une description effrayante de la vie parisienne de la fin du XVIIIème siècle, de ses mœurs et de ses idées. Les deux aixois, l’auteur et son sujet, semblent se retrouver à l’unisson dans ces tirades provincialistes et anti-parisiennes dont certains seraient tentés de vanter l’actualité…

Mais il faut bien admettre avec l’auteur que la pensée profonde de PORTALIS, de par sa richesse et sa mesure, de par la lucidité du constat d’où elle naissait et la hauteur de vue de l’homme, demeure d’une actualité surprenante, tant en ce qui concerne l’organisation de la société, la hiérarchie des normes, la recherche du fondement des principes ou la création des lois et règlements.

Dès ses premières plaidoiries à AIX, puis dans le cadre de ses mandats publics, PORTALIS est la recherche de la règle de Droit naturel qui doit éclairer son discours, déterminer l’action. Partout PORTALIS va distinguer le temporel et le spirituel, l’intérêt privé ou ponctuel de l’intérêt public et général.

« Homme de tradition dans une époque de révolution, homme de raison dans un temps de passions ». PORTALIS, sans jamais se renier va néanmoins faire évoluer sa pensée, non pas de façon opportuniste mais pragmatique. Ses périodes difficiles, proscrit sous la Révolution, exilé sous le Directoire, mais aussi son rôle influent et reconnu entre ces deux époques au Conseil des Anciens, lui donnent l’occasion de mûrir ses réflexions. PORTALIS, écrivant et discourant beaucoup sur la Liberté, reconnaît que celle-ci doit s’apprécier au regard des époques, des dangers ou contraintes du moment et qu’elle n’est pas la même en temps de paix ou en temps de troubles. L’organisation des pouvoirs publics et l’exercice du pouvoir l’occupent beaucoup aussi.

De son exil, PORTALIS observe la montée de BONAPARTE. Par arrêté du 24 thermidor an VIII (12 août 1800), et sous la protection de CAMBACERES, PORTALIS devient membre de la Commission de rédaction du Code civil aux côtés de TRONCHET, BIGOT de PREAMENEU et de DE MALEVILLE. C’est au sein de cette commission, dont il est l’élément principal, que PORTALIS va dévoiler son génie juridique, son génie tout simplement.

Toujours mu par cette recherche de la Loi naturelle soutenant toute règle, soucieux des équilibres entre le droit positif et les fondement religieux de la société (notamment sur le mariage), PORTALIS réalise une synthèse improbable et équilibrée entre certains acquis de la période révolutionnaire et l’Ancien droit. La recherche du juste s’applique aussi bien au fond qu’à la forme, l’illustre Jurisconsulte s’appliquant à trouver en toute chose la formulation accessible à l’homme de la rue et néanmoins chargée de sens pour le spécialiste.

PORTALIS, qui n’en est pourtant ni l’initiateur ni le rédacteur, sera par la suite l’artisan du Concordat de 1801. Puis en 1804 il devient le Ministre des Cultes de NAPOLEON, poste dans lequel il mettra toute son âme, ton son esprit et, qualité sublime, ce mélange de sens pratique et de vision réformiste qui lui permettront de progresser et de bâtir sur des terres dont les historiens se désintéresseront, préférant retenir de « vrais » politiques plutôt que celui dont on a pu dire qu’il était « le bon génie de NAPOLEON ».

En cette année 1807 PORTALIS s’en va donc, sans célébrité à la hauteur de ses talents mais avec la reconnaissance de l’Empereur et, très certainement, l’estime et l’admiration de ceux qui l’avaient côtoyé. L’œuvre qu’il laisse est immense. La pensée qu’il a diffusée universelle, à l’image de cet esprit du siècle des Lumières.

PORTALIS le Provençal, l’avocat des pauvres, le défenseur d’un Parlement de Provence indépendant du pouvoir central est arrivé à PARIS où il est promu ministre de NAPOLEON. Ce faisant, il devient le serviteur de cet Etat central fort, l’architecte d’un Code civil unique pour le pays, le législateur moderne dont l’œuvre lui survit jusqu’à nous. Pour répondre à J-B d’ONORIO, non sans humour et en le saluant pour son œuvre, constatons que la perversion parisienne décriée par PORTALIS ne l’a pas souillé et que rien de tout ce qu’il a créé n’aurait été possible sans ces années dans la capitale. Admettons que PARIS ne serait pas elle-même sans ses provinciaux, qu’ils soient de Provence ou d’ailleurs…

Au terme de cet ouvrage, l’on s’aperçoit que c’est à un merveilleux voyage que J-B d’ONORIO nous a convié. Voyage dans l’Histoire de cette France qui bascule de l’Ancien régime dans la Révolution et la Terreur, puis se reconnaît dans un Empereur qui saura, avec d’autres, assurer la synthèse entre deux mondes et faire entrer son pays dans un nouveau siècle. Voyage dans la pensée – dans les pensées- de l’époque ; PORTALIS s’étant nourri d’un fond de culture classique, d’influences maçonniques qui le suivront, du débat avec ses contemporains mais surtout, et avant tout, de cet attachement aux valeurs du christianisme dont il retirera, à plusieurs reprises, les vertus de tolérance et d’ouverture sans jamais perdre de vue que les lois humaines découlent toujours de la Loi supérieure.

Ce livre est un modèle, à l’image de son sujet. Il se dévore tel un roman, il est une leçon d’histoire, de droit, de science politique, de philosophie. Chaque page est une invitation à la réflexion, une incitation à l’humilité.

En le reposant sur l’étagère, l’on souhaite dire « Bravo Monsieur PORTALIS. Merci Monsieur d’ONORIO ». Ou l’inverse…

Antoine DELABRIERE

DALLOZ – 31/35, rue Froidevaux, 75014 PARIS
365 pages – 30€